Le principe de lucidité
"« LE FEU SACRÉ », DE RÉGIS DEBRAY
Le principe de lucidité
Par MICHEL COOL
Rédacteur en chef de Témoignage chrétien.
Dans l’inventaire que Régis Debray dresse des valeurs supposées démodées de notre modernité, le fait religieux succède à Dieu, héros de son précédent ouvrage (1). Dans cet essai (2), on retrouve son verbe érudit et ciselé pour tordre le cou à certains poncifs sur le fait religieux, objet de ressentiments souvent injustes et injustifiés.
Première cible du président du tout nouvel Institut européen en sciences des religions, la présomption laïque de la France. Non contente d’avoir été « la fille aînée » de l’Eglise catholique, « elle se prend parfois pour la fille aînée de la laïcité. Ce droit d’aînesse reviendrait plutôt au Mexique, où la Séparation fut inscrite dans la Constitution par Benito Juarez, bien avant [1860]. » Raison de plus, insiste l’auteur, pour être modeste et ne pas confondre la « piété républicaine », dont il reste lui-même imprégné, avec « un combat antireligieux que la laïcité n’est aucunement ».
Régis Debray remet ainsi plusieurs pendules à l’heure. Non, les religions ne sont ni plus bellicistes qu’hier ni plus criminelles de guerre que ne le prétendent leurs procureurs amnésiques des crimes commis au XXe siècle au nom d’idéologies athées : « A Athènes comme à Rome, la guerre était déjà une entreprise religieuse. (...) L’imbrication du divin et du sanglant ne date pas d’hier. (...) Ce sont les hommes qui font la guerre des dieux. » Quant à l’islam, qui fait rugir les nouveaux dévots d’une laïcité radicale, son extrême pluralité culturelle et spirituelle devrait amener à plus de discernement.
En bon horloger soucieux que les aiguilles tournent dans le bon sens, l’auteur appelle son lecteur à être enfin à l’heure à l’école du fait religieux. A s’émanciper de la « censure faraude et suicidaire », cause de l’inculture religieuse depuis plusieurs générations. Or, pour lire un journal, comprendre le monde ou se comprendre soi-même, le fait religieux demeure un gué indispensable.
Le principe de lucidité gouverne chaque page de ce livre. Il offre, en outre, une sélection de photographies et de citations qui illustrent fort à propos l’extraordinaire fécondité du religieux dans notre histoire. Debray ne cache pas son admiration pour le « chef-d’oeuvre idéologique » que représente à ses yeux l’Eglise catholique romaine. Mieux que tout autre système de croyance et de gouvernement, elle a su résister aux assauts des époques, des modes et des révolutions. Elle accrédite la maxime de Goethe selon laquelle « le génie est de durer ». Fût-ce au prix de l’immobilisme, du conservatisme et du statu quo institutionnel qu’incarne Jean Paul II, qui, sur ce point, contredit la volonté rénovatrice du concile Vatican II.
Quitte à en déconcerter plus d’un, Régis Debray trouve des circonstances atténuantes à cette théocratie immuable : elle eut, selon lui, le mérite d’inventer, dès la fin du Ve siècle, des « îlots de démocratie représentative » : les monastères bénédictins.
A sa façon, ce livre est un plaidoyer pour que la France, mais aussi l’Europe, n’enterrent pas leurs racines religieuses. Leur « feu sacré » n’est pas superflu, pense Debray, pour regonfler les voiles humanistes d’un continent tenté de n’être plus qu’une zone économique."
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